Critères de choix dun produit de remplissage
C. Decoene, N. Dieu, C. Cambier
Service dAnesthésie-Réanimation en Cardiologie CHRU Lille
Introduction
Les produits de remplissage se classent en 2 grandes familles : Les cristalloïdes isotoniques ou hypertoniques, et les colloïdes comprenant, les gélatines (GEL), les hydroxyéthylamidons (HEA), les dextrans (DEX), les protéines dorigine humaine (Albumine et Plasma frais). Le choix dun produit de remplissage est un acte quotidien de lanesthésiste-réanimateur et de lIADE. Ce choix se base sur des éléments fondamentaux que sont les propriétés pharmacodynamiques, les effets secondaires, le coût des produits de remplissage et qui sont à ajouter au mécanisme de la perte volémique et aux pathologies associées du patient. Cependant la stratégie de remplissage évolue comme la montré la prise en compte du risque infectieux avec les plasma dorigine humaine ou le consensus sur lutilisation de lalbumine. Récemment a été souligné le risque de transmission de maladies à prions par lalbumine, lorigine bovine de certaines macromolécules doit être remarquée pour la même raison!
Définition et Analyse des critères de choix
Les indications respectives des différents solutés peuvent être déterminées par l'analyse des avantages et des inconvénients de chaque soluté de remplissage.
Pharmacodynamie des différents produits de remplissage
Les points importants de la pharmacodynamie qui guident le choix sont les suivants : La capacité dexpansion du soluté, la durée du phénomène dexpansion, la redistribution du soluté en dehors de lespace intravasculaire, son osmolalité et son mode délimination. (Tableau I)
Les effets secondaires des solutés de remplissage (tableau II)
Les effets secondaires les plus importants sont le caractère allergisant, le retentissement sur lhémostase, le risque infectieux et les effets rénaux.
Posologies limites.
En plus des limites liées à lhémodilution, la quantité maximale dHEA autorisée en raison du risque hémorragique est de 33ml/kg.
Le coût des différents solutés (tableau II)
A ces éléments de pharmacocinétique doivent être rajoutés, la cause de la perte volémique et létat du patient.
Le mécanisme de la perte volémique
Le bon fonctionnement du système cardio-vasculaire nécessite une adaptation du contenu (le volume) au contenant (le système cardiovasculaire). Lhypovolémie peut être la conséquence dune augmentation du contenant (hypovolémie relative) ou dune baisse du contenu (hypovolémie vraie). Si le volume liquidien mobilisable de lorganisme est réparti en 3 grands secteurs, seul le secteur intravasculaire est responsable de ladaptation rapide contenu-contenant. Cependant une étroite relation unit ces différents secteurs. Ceci implique que toute modification non corrigée dun de ces secteurs va retentir sur le secteur intravasculaire. Lhypovolémie vraie est soit la conséquence dune perte sanguine isolée soit une perte deau et dions du secteur intra ou extra-cellulaire ou du secteur interstitiel soit des deux. Lévaluation du mécanisme permet de déterminer la composition ionique et protidique des pertes et de guider ainsi le remplissage. Schématiquement en Anesthésie-Réanimation, les variations volémiques peuvent se rencontrer lors des situations suivantes: les syndromes hémorragiques, linduction anesthésique, les interventions chirurgicales et les suites postopératoires, les brûlés, les déshydratations dorigine digestives ou autres (3ème secteur).
Perte volémique au cours dhémorragie.
Cette perte entraîne une baisse du volume intra-vasculaire et saccompagne également dun mouvement deau de linterstitium vers le compartiment vasculaire et le milieu intracellulaire si lhypovolémie a été responsable dun choc (+ de 30% de perte / à la masse sanguine). Elle nécessite des solutions ayant un pouvoir dexpansion vasculaire important pour reconstituer rapidement une masse circulante efficace et rétablir lhémodynamique mais également des solutés corrigeant la déshydratation extra-cellulaire qui laccompagne. Le consensus est établi pour une utilisation de cristalloïdes en cas de perte modérée < à 20% sans retentissement sur lhémodynamique et chez un sujet sans antécédents cardiorespiratoires. Dans tous les autres cas, les colloïdes doivent être utilisés avec une préférence pour les gélatines pour limiter les troubles de lhémostase. Ce remplissage doit bien sûr être complété par des produits sanguins en fonction du taux dhémoglobine. Lutilisation du sérum salé hypertonique à 7,5 % semble prendre une place particulière dans cette indication. Il permet une restauration volémique rapide mais de courte durée, limite loedème cérébral et aurait un effet inotrope positif, malheureusement son effet est transitoire et non renouvelable.
Variations volémiques et induction anesthésique
Lors de linduction dune anesthésie générale, la perte du tonus sympathique plus ou moins associée au pouvoir vasodilatateur des drogues entraîne une hypovolémie relative bien tolérée chez le sujet jeune ou dramatique parfois sur dautres terrains. Cette hypovolémie relative est majoré par le jeün mais également par les traitements préopératoires des patients (diurétiques et IEC, préparation colique), ou par la pathologie sous-jacente ( péritonite, hémorragie). Dans tous les cas il est nécessaire de rétablir une volémie correcte avant linduction et ceci peut être réalisé par des colloïdes ou des cristalloïdes en fonction du terrain. Les colloïdes seront préférés pour rétablir une hémodynamique correcte rapidement tandis que les cristalloïdes seront utilisées en cas de déficit hydro-sodé sans retentissement hémodynamique (péritonite).
Lhypovolémie induite par lanesthésie rachidienne peut être compensée par des solutés à pouvoir dexpansion important (colloïdes, HEA, Dextran), ou par les solutés cristalloïdes en association avec des alpha stimulants.
Les variations volémiques au cours dinterventions chirurgicales
Au cours dinterventions les pertes sanguines sont contrôlées sans entraîner de choc ni dhypovolémie par lhémodilution normovolémique. Celle-ci consiste à préserver la volémie sans compenser les pertes en globules rouges. Il est nécessaire dans ces conditions de choisir des produits dont la durée de vie et le pouvoir dexpansion intra-vasculaire sont importants et dont les effets notamment sur la coagulation sont minimes (GEL et HEA). A côté de ces pertes sanguines, il existe des pertes hydroélectriques liées au jeün préopératoire, à lexposition des anses digestives, ou à louverture des cavités. La stratégie de remplissage doit aussi assurer une évaluation des pertes dites insensibles et les corriger à laide des solutés cristalloïdes. Par exemple lexposition des anses digestives pendant trois heures ce qui est fréquent au cours dune cure danévrysme aortique chez un sujet de 60 kg entraîne une perte de (3x60x10=) 1800 ml. En pratique il est nécessaire de dissocier les pertes sanguines à corriger volume pour volume par des colloïdes et les pertes insensibles plus difficiles à évaluer par des cristalloïdes.
Hypovolémie post-opératoire
Cest probablement la situation la plus difficile à gérer. Elle est constituée par les fuites hydroélectrolytiques (drainages, ventilation, T°, sueurs), léventuel retardde remplissage existant, les saignements postopératoires, la dégradation ou lélimination des solutés utilisés en peropératoire, la constitution dun troisième secteur, les perturbations glycémiques. La correction doit alors faire appel à une étude du bilan hydroélectrolytique, hémodynamique et respiratoire du patient pour adapter le remplissage. Aucune règle ne peut en être dégagée.
Létat du patient, ses pathologies associées
Le sujet jeune a une capacité dadaptation quel que soit le type de soluté de remplissage utilisé. La clairance de loedème interstitiel est aisée, la fonction rénale non altérée permet une élimination plus rapide de la surcharge hydro-sodée liée aux cristalloïdes. Attention ceci nest vrai que si il ny pas de souffrance tissulaire associée. Si un état de choc apparaît, les mêmes précautions que pour un patient porteur dune pathologie cardiorespiratoire sont à prendre.
Ce nest pas le cas du patient âgé, ou présentant une pathologie cardiaque, respiratoire ou rénale. Chez ces patients les cristalloïdes doivent être utilisées de façon rationnelle et non pas pour corriger le volume intra-vasculaire. Les gélatines ou les HEA sont plus efficaces et moins dangereux car leur diffusion dans le secteur extra-vasculaire est plus restreint. De même le risque daggravation de la fonction respiratoire par oedème de surcharge est moins important. Ceci change si la perméabilité membranaire est altérée ( oedème lésionnel) dans ce cas la prescription de colloïdes peut alors aggraver loedème.
En conclusion :
Dans la majeure partie des cas, le remplissage peut être dicté par ces règles simples. Il nécessite toujours dêtre monitoré en fonction du contexte.
Tableau I
Points importants de la pharmacocinétique des différents solutés de remplissage
Tableau I
Soluté |
osmol.(mosm/l) |
Efficacité Volémique (%perfusé) |
Durée |
Mode délimination |
Ringer lactate |
273 |
0.19 |
1-3h |
Redistribution E interstitiel |
Albumine 4% PFC |
300 290 |
0.8 0.8 |
6-8h 6-8h |
? |
Gélatines Plasmion Gelofusine |
320 308 |
0.8-1 0.8-1 |
4-5h 4-6h |
Enzymes protéolytiques |
Dextran Plasmacair 3.5% Rhéomacrodex10% |
280 315 |
1-1.2 1.7-1.9 |
4-5h 4-6h |
Hepatic dextranase en H20 et C02 |
HEA Elohes Hestéril |
304 308 |
1-1.4 1-1.4 |
12-18h 4-8h |
Amylase |
Tableau II
Effets secondaires des différents solutés de remplissage et leur coût
Tableau II
Soluté |
Effets rénaux |
Effets Coagulation |
Risque dAnaphylaxie |
Risque infectieux |
Coût |
Ringer lactate |
0 |
0 |
0 |
0 |
3.57 Fr |
Albumine 4%, PFC |
0 |
faible |
Prions |
358 Fr |
|
Gélatines Plasmion Gelofusine |
0 Modification Groupe Sang |
Elevé |
Prions ? |
18.37 Fr |
|
Dextran Plasmacair 3.5% Rhéomacrodex10% |
Toxicité Directe |
Antiaggrégant Facteur VIII |
Modéré (Promit) |
0 |
17,35Fr |
HEA Elohes Hestéril |
Pseudo Willebrandt |
faible |
0 |
49.51 Fr |
Lalbumine, les gélatines, les Hea peuvent être indirectement responsable de lésions rénales par augmentation de la pression oncotique et osmotique. En cas de prélèvement dorganes, il faut se méfier des fortes doses de gélatines et de HEA avec lesquels ont été décrits des lésions des greffons rénaux.